Carnaval de la Plaine. Haut les masques!

Le carnaval de la Plaine n’est pas un carnaval pour enfants sages, ni pour touristes en goguette. C’est un rendez-vous populaire, festif et offensif. Où les adultes font des batailles de farine, où les hommes ont des robes courtes et où les femmes portent cravate. Une journée pour mettre le monde à l’envers. Une fête pour s’amuser mais aussi l’occasion de dénoncer une municipalité qui vend sa ville aux plus offrants, qui méprise les marchés populaires, qui par une gentrification sournoise aseptise le centre de nos villes et qui refuse la convivialité autre que par sa nauséabonde fête des voisins. En 2014, nous étions 500 joyeux lurons à arpenter le quartier, malmenés par la police, nous avons décidé de ne pas nous laisser impressionner. L’année dernière, nous étions plus de 1500 et cette année presque 2000. Qui aurait penser que cette action sans fondement de la police nous donnerait encore plus de force et de visibilité !?

Ce dimanche 13 Mars 2016, la Plaine est en ébullition. Le Caramatran, vautour et bétonnière, parade et hurle à la face de la ville « Marseille n’est pas à vendre. La Plaine encore moins ». Une des volontés clairement affichée est de brocarder la Soleam une agence d’urbanisme sans foi ni loi qui oublie que la Plaine est une terre d’incivilisés et fiers de l’être.

Au milieu de la clameur, un oiseau fait irruption tout en couleurs, tout en rubans. Il traverse la place comme un songe. Il lève ses ailes pour réclamer la clémence du ciel mais il se peut aussi que sa prière muette s’adresse à la police, pour qu’elle aille se faire voir ailleurs.
Partout la rue s’anime. Une sorcière sans balai esquisse trois pas de danse, elle s’incline devant un squelette mort de rire. Un robot en aluminium au nez rouge embrasse une cagoule qui ressemblerait à s’y méprendre à un dragon de Komodo. Et ce petit chien au manteau jaune jappe de plaisir à l’idée de suivre cette foule mi-humaine, mi-animale. D’autres chars viennent parader. Une baleine bleue dévoreuse d’hommes et de femmes en Méditerranée, fabriquée par des hommes venus d’Afrique ou d’ailleurs. Dans le secret d’un hangar, un soudanais aux mains d’or a construit patiemment sa structure articulée aidé par ses compagnons d’infortune. Un talent impressionnant pour un homme qui est ici sans papier, sans famille, sans pays, sans travail. Difficile de rester insensible devant tant de gâchis et de drames humains…

Mais la fête n’attend pas. Aujourd’hui, on laisse le désespoir sur le trottoir. On le piétine. On redevient tous des humains. On se prend à rêver à un monde sans frontière. La musique enfle de tous les côtés. Les batucadas rythment le défilé. Les grosses caisses laissent éclater leur sonorité sur tous les murs du quartier. Il y a aussi des chants de luttes, des chants italiens. De toute part, les langues résonnent, s’interpellent parce que la Plaine est sans frontière, insoumise, réfractaire envers tous ceux qui veulent la faire plier. Et la chanson « Touchez pas la plaine » prend une ampleur inédite en ce dimanche sans limite.
Au loin, des femmes dansent, debout sur les poubelles pendant que deux grands gaillards miment une bataille à l’épée devant leurs gamins hilares. La farine fuse. Une ambiance neigeuse trouble le ciel laiteux. Au carnaval, il n’y a plus d’âge. Plus de sexe. Plus d’espace. Seul le bruit de nos rêves et de notre révolte. Nos pas résonnent autant que nos chansons. On est des centaines. Peut-être des milliers. Ensemble. Indestructible.
Que l’on soit catcheur mexicain, jongleur ou pirate des caraïbes, la foule est animée par une seule et unique envie : danser, crier, hurler. Vivre la rue intensément, prendre l’homme-ours par le bras et l’embarquer dans une sarabande infernale. Tous masqués, tous anonymes mais avec un seul et même corps de fête. Redevenir le temps d’une ronde, primitif et sensuel.
À Noailles, la foule virevolte sous la farine. La liesse prend chair. L’allégresse est partout et se chante à tue-tête. Les tambourins s’ébrouent sous la poudre blanche et les yeux rougis ne sont pas seulement dus à un trop plein de farine. L’émotion est là, palpable. C’est beau une fête qui danse. C’est merveilleux un peuple qui chante. Quelques-uns ont le cœur prêt à exploser.
Le Caramantran n’a plus que quelques heures à vivre. Son avocat tentera bien de le défendre mais la vox populi le condamnera vite fait, bien fait, aux flammes. Le feu embrase la Plaine qui s’offre au crépuscule. « Adieu Paure Carnavas» s’élève et chasse l’hiver une fois pour toute. Le printemps, la vie est là, au seuil de cette journée qui s’achève. Les flammes lèchent le bois, la foule se fait ombre chinoise, des silhouettes d’un autre temps sautent. Bravaches poupées de chair et de chants qui célèbrent et honorent Bacchus et tous ses saints endiablés.

             La Plaine devient un chaudron, presque un volcan en éruption d’hommes et de femmes prêt à assaillir l’aube. Tous ensorcelés, tous unis dans cette dernière danse. Avec l’espoir secret que jamais ne finisse cette nuit.

Traba, 21 mars 2016







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